Stéphanie Coudert a les qualités d’une héroïne de roman du XIXe siècle. Grande, belle, elle a eu le courage de faire par passion un métier risqué en ces temps difficiles et de créer un style inspiré de la danse, qui lui convient parfaitement.
Gagnate du prix du Festival de Hyères en 1999, Stéphanie a fait sensation pendant la Haute Couture Fashion Week l’an dernier quand, avec l’aide financière d’un fabricant, elle a présenté son premier défilé podium. Outre son caractère un peu romantique Stéphanie a eu, comme toute heroine moderne, un parcours ni facile, ni lisse. Par contre, il a été saupoudré d’imprévus et de nombreux défis. Son chemin a commencé dans son l’atelier-boutique de Belleville, où elle a travaillé seule pendant deux ans pour 12 clients. En même temps elle a créé des costumes de théâtre et a participé à des expositions.
Ralph Toledano, président du groupe Puig et président actuel de la Fédération Française de Couture, la considère, avec Haider Ackermann et Bouchra Jarrar, comme un des créateurs qui l’ont le plus impressionné dernièrement.
Didier Grumbach, ancien président de la Fédération Française de Haute Couture, déclare que Stéphanie Coudert est époustouflante et que son travail représente la vraie élégance.

En juillet 2014 vous faisiez le passage de votre showroom de Bellevile à un défilé podium. Pourquoi et comment on choisi d’aller vers la Haute Couture ?
La passionnée vous répondra que sortir des pièces d’une sophistication extrême est le défi de tout créateur, pour lui-même et pour faire rêver, pour apporter le meilleur de lui aux autres. La pragmatique elle, vous expliquera qu’un rêve se construit autour de faits réels tels l’intérêt d’un fabricant pour la collection d’un créateur, l’existence du DEFI, et surtout le parrainage puis l’approbation du comité de sélection des membres invités au calendrier. Vous choisissez de prétendre, la Haute Couture vous choisit.

Il y a une nouvelle génération de créateurs Haute Couture dont vous faites partie. Pourquoi cet engouement aujourd’hui? Vers quoi s’oriente la Couture de demain ?
Le vingtième siècle est clos. Avec lui les valeurs des générations élevées à l’industrialisation. L’engouement je ne l’évalue pas de ma fenêtre, mais mes clientes aiment l’exclusivité, le soin, le service que je leur porte. Je pense que le rapport au luxe doit être repensé. Personnellement je ne crée pas des vêtements pour les musées. Le bon geste pour accompagner le quotidien d’une cliente, voilà le vrai luxe que l’on s’offre. Moi en terme de temps, ma cliente en terme de budget. Et puis il y a le partage dans l’innovation, quand la demande amène la recherche volume ou textile.
Je pense que la Couture de demain doit laisser plus d’espace à sa cliente.

On peut être artistique et commercial / conceptuelle en même temps ?
On peut avoir l’exigence d’accorder sa « patte » à l’énergie d’une personne. Il n’y a pour moi de création que portée en matière de vêtement. Ma recherche a son temps, son espace. Puis elle rencontre un désir, un besoin. J’ai appris avec les années de pratique à ménager un espace pour les deux territoires. Je dirai que je réserve le rêve et les tentatives à la Haute Couture. Je pense que « commercial » et « haute couture » sont antinomiques. Ma haute couture serait une version radicale de mon style en matière de volumes et finitions. Mon concept est pour autant déclinable jusqu’au prêt-à-porter, et je souhaite aujourd’hui développer une ligne pour ma boutique et d’autres lieux propices à l’expérience cliente associée.

Vous avez vécu pendant dix à Téhéran et Bagdad avant de venir à Versailles – en quoi le lien avec l’Orient est essentiel pour vous ?
L’Orient est le fondement de mes inspirations. Il est mon enfance, le terreau de mes premières visions de la femme. Il est synonyme de pudeur et de sensualité. Tout l’opposé, en matière de féminité, de ce que j’appelle la « stridence » des corps des guerrières dénudées occidentales. Pour moi la féminité n’a rien à voir avec les notions de pouvoir, de confrontation, d’angle. La féminité est au contraire l’huile qui permet que l’engrenage ne se grippe pas. Une histoire de courbes, une source infinie d’apaisement, un mouvement. Pour revenir à mes visions d’enfant, mes promenades hebdomadaires au musée de Bagdad avec ma mère m’ont convaincue que l’art démontre toujours qu’il faut croire en l’humanité. Les sculptures mésopotamiennes sont des compagnes pour mon travail, tout autant que les poèmes perses.

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Vous travaillez beaucoup avec des coutures qui tournent, le biais et le volume a une importance particulière dans vos créations. Quels sont les points de départ d’une collection ?
J’interroge en ce moment l’idée de collection. Le cerveau d’un créateur est toujours scindé en deux mécaniques, qui doivent cohabiter tout le long de la période de création de manière très acrobatique. C’est pourquoi on assimile souvent la création à un sport de haut niveau. Il y a d’un côté l’histoire que l’on raconte (mode de pensée très 20ème siècle) et l’objectif « marketing », qui dans mon cas est un objectif « cliente ». Je dessine et monte des volumes, puis on trie au studio les pièces qui fonctionnent en silhouette, on répartit, on annule, on transforme. Le point de départ est toujours la matière. Ma création est une histoire de « main », de tomber.

Dans quelle mesure vous utilisez des matières très modernes dans vos collections ? Quelles sont vos matières de prédilection ?
Quelle que soit la matière, technique ou naturelle, je fonctionne à l’énergie qu’elle dégage au milieu des autres sur notre mood-board. Sa résonance.
J’aime infiniment le jersey, les structures en 3D qui permettent une grande rigueur sur l’emplacement de la ligne. J’ai besoin d’un vêtement comme « coulé d’un seul jet ». Une logique de forme pure, qui possède son propre mouvement sur le corps. J’aime les matières nerveuses, les mains qui amènent une autre lecture, qui brouillent ou détournent celle-ci. J’ai découvert l’adéquation de mon travail au double face et l’exigence d’un savoir-faire qui ne souffre pas l’approximation.

Comment vous définiriez-vous le concept « tailleur flou » de votre maison ?
Il est la traduction de ma vision de la féminité et la métaphore du lien Orient-Occident que j’explore dans ma silhouette. C’est une lecture personnelle du corps de la femme. Une plume, un mouvement léger au sol, une empreinte à la fois précise et fugace. Une version souple de l’armure qui nous est nécessaire au quotidien.
Mon tailleur flou est un vecteur de communication, d’échange, d’écoute. Il donne de l’espace à l’autre. Il n’impose rien. Il est synonyme de contradictions féminines assumées et nécessaires. Un flou suspendu aux bons endroits. Il ne reprend aucun code du vestiaire masculin car je veux trouver un vocabulaire propre au principe féminin.

Le made in France et l’artisanat d’art sont en train de se redéfinir, tout comme la Haute Couture – comment vous allez défendre un savoir-faire français?
Je souhaite, après des expériences diverses, développer mon propre atelier. Défendre l’intelligence de la main, qui me semble un bel axe pour les générations futures au contact de monteur(se)s expérimenté(e)s.
Mon atelier existe depuis 15 ans mais son autonomie fait son socle et sa pérennité. Une maison de couture doit sa survie à son autonomie financière et à une chaîne de valeurs personnelle et riche.

Vous étiez depuis dix ans “couturière personnelle” ou “couturière en chambre” – comment décrire ce métier très rare aujourd’hui et faire la difference avec la Haute Couture ?
Je n’était pas « couturière » au sens purement technique. Mon métier a consisté et consiste toujours en un dialogue avec les clientes entre leur souhait et une proposition style de ma part, encore une fois fidèle à ma vision. Ce travail se distingue de la Haute Couture quand la chaîne de valeurs est plus restreinte et concerne des techniques plutôt simples qui correspondraient à un prêt-à-porter de luxe. Il rentre dans le domaine du luxe accessible, car il mêle des notions d’exclusivité et à la fois de temps de travail restreint sur la pièce. La Haute Couture fait pour moi appel à un, ou une succession de savoir-faire d’exception. Qu’il implique la main ou le digital d’ailleurs, et qui demande des jours pour le montage d’une pièce.

Je vous ai attendu avec impatience pendant la Haute Couture Fashion Week en janvier. Pourquoi pas de défilé Spring Summer 2016 ?
Ma réponse est simple: pas de financement suffisant. Le fabricant qui m’avait permis cette mise en lumière a rompu notre élan de partenariat. Forte je dirais de cette déconvenue, je me suis battue pour monter une présentation à l’Institut du Monde Arabe en Janvier 2015. Je pense en effet qu’il faut défendre notre savoir-faire français et nos visions de créateurs. Cependant la raison m’amène aujourd’hui à reconsidérer mon socle de travail et revenir à mes fondamentaux. il est bien évident que le coût d’un défilé demande un financement proportionnel aux ventes de la Maison. Ce pourquoi je travaille en ce moment à l’élaboration d’une vraie ligne de prêt-à-porter.

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Bouchra Jarrar chez Lanvin peut’être Jonathan Sanders chez Dior – serez vous tentée par une place dans une grande maison de couture ?
Oui si la direction me permet d’apporter mes valeurs et mon sens du travail. Je souhaite une histoire de passion « à l’ancienne » avec une Maison. Pas la sensation d’une guerre à mener (le monde en est déjà fort plein) pour sauver ma place jusqu’à la prochaine saison.

Si il faudra nommer les créateurs que vous suivez et ceux qui vous inspirent, quells sont les premiers noms qui vous viennent à l’esprit ?
Haider Ackermann, Alessandro Michele, Azzedine Alaïa, Alber Elbaz, ceux qui me procurent de l’émotion au delà d’une direction artistique totale et inflexible.

Vous dites que “L’élégance française doit être cultivée”– quelle est votre manière de le faire ?
Je refuse le jogging en dehors de sa fonction première. Je place les leggings sous des pièces couvrant le « siège de l’hyper féminin », j’encourage la désinvolture mais pas la négligence. L’élégance française est surtout un rapport particulier au temps. Celui pour la recherche, l’épicurisme, celui pour la culture et l’épanouissement. L’élégance pour moi est une affaire de soin, de précaution. J’espère appliquer cette vision jusqu’à ma gestion d’entreprise.

Comment décririez vous votre état d’esprit en ce moment ?
La sensation de tout redémarrer. Des fils tendus partout. Dans ma tête j’ai vingt-cinq ans.

Quels sont les projets 2016 de Stéphanie Coudert ?
D’abord le lancement de ma ligne de prêt-à-porter, « Service Couture Paris ». Toute une philosophie issue de mes années de travail.
Mes initiales, car je suis à l’initiative des pièces qui existeront grâce au travail de toute une équipe.
Il est pour moi très « 20ème siècle » d’apposer son patronyme sur un vêtement porté par autrui. Je réserve cet aspect désuet à la Couture car chaque pièce résulte de mon entière responsabilité et vision de sculpteur.
Service Couture est, comme son nom l’indique, tourné vers ma cliente.
Une collection permanente des modèles déclinés du sur-mesure et plébiscités depuis des années à ma boutique-atelier de Belleville.
Je travaille également à la création de costumes pour Anna Karénine, mis en scène par Gaëtan Vassard, dont le rôle principal est interprété par Golshifteh Farahani, cette merveilleuse actrice iranienne que je rêvais d’habiller.

Credits photo: Stéphanie Coudert
Dialog Textil, mai 2016