Dimanche je suis allée acheter un nouveau pot en céramique pour mes rhizomes d’iris. Je voulais planter des bulbes et rhizomes de fleurs et je n’avais aucune intention d’acheter autre chose. J’insiste là dessus.

En avançant sur le Cours de Vincennes, j’ai vu qu’il y avait une grande brocante que je devais traverser pour arriver au magasin que je cherchais. Contrairement à la dernière au même endroit, cette brocante était vraiment riche et belle, avec des collections de tapis, de meubles, de livres, etc. C’était agréable de regarder les nappes brodées, des couverts très travaillés en différents métaux, des services de verres avec ou sans carafe, mais aussi de vieux “pins” rigolos de réclame de boissons ou de marques de voitures, des bijoux, des pierres sémi-précieuses.
Un beau support pour fleurs en forme de paravent en bronze en trois parties m’a attiré l’œil. Il irait bien sur mon grand balcon. Mais … j’étais partie pour acheter un pot de fleurs et à la place je n’allais pas trainer un lourd paravent jusqu’à la maison.
Et puis … sur un étalage, j’ai vu ce surprenant service de thé de style japonais! Je me suis approchée, j’ai pris un tasse (avec une forme étrange pour une tasse de thé, et bien petite pour cet usage) et je l’ai regardée sous toutes les coutures. Plutôt un service de café ? Il était vraiment beau.
Ah ! La théière n’avait plus de couvercle. En la retournant, j’ai lu “GENUINE Satsuma MADE IN JAPAN”. Eh bien, même si pas totalement complètes, c’étaient de très belles pièces.
Mais je n’étais pas partie de chez moi pour flâner dans une brocante à la chasse de l’occasion unique et je voulais m’en tenir à ma décision primaire. Pour effacer l’ultime trace d’envie ou d’incartade, j’ai demandé le prix.
Horreur et damnation, c’était dans mes cordes ! Le propriétaire semblait ennuyé de l’avoir déballé et de devoir remballer ses objets. Et la fin de la brocante approchait.
J’ai regardé dans mes affaires – je n’avais pas la somme exacte demandé par le marchand. Après m’être fait voler mon sac à l’arraché il y a quelques années, j’ai peu de liquidités sur moi. Certaine qu’il tiendra à son prix et convaincue que maintenant j’ai la bonne raison pour résister à la tentation, je lui dis :
– Monsieur, je suis désolée, je n’ai que quelques euros.
Il m’a jeté par dessus l’épaule:
– Allez, prenez-le. Vous avez là des sacs pour l’emballage.
Il n’y avait rien d’autre à faire.

 

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Maintenant le service de thé trône chez moi en attente de la prochaine fois quand nous savourerons entre amis une tasse de magnifique thé Da Hong Pao, ou peut être du thé vert Qiandaochunya ? Ou du café avec une tranche de cake matcha …
Connaissez-vous l’histoire de ce style si particulier que les japonais appellent nishikide Satsuma – le Satsuma de brocard ?
(J’ai l’impression de vous raconter Shogun, le roman de James Clavell). Asseyez vous confortablement et écoutez :
Au XVIe siècle au sud de l’île de Kyushu, dans la préfecture de Kagoshima, se trouvait l’ancienne province de Satsuma. Yoshihiro Shimazu, Daimio de cette province et 18ème chef du clan Shimazu, est riche, grand guerrier et excellent général parmi les vassaux de Toyotomi Hideyoshi (deuxième des trois unificateurs du Japon, tout juste avant Tokugawa Ieyasu, le grand Shogun).
A cette époque les japonais considéraient la céramique coréenne comme la plus originale, la plus belle et la plus raffinée au monde. Même l’empereur buvait son thé dans une tasse coréenne !
En 1592 et 1597, durant la guerre Imjin, Yoshihiro mène une série de batailles sur la péninsule Coréenne. C’est donc normal qu’à la fin de la guerre il ait ramené sur son domaine pas un, mais 80 potiers coréens. Il voulait profiter de leur savoir pour développer l’économie sur son domaine et renflouer ses caisses, vidées par l’entretien de son armée pendant cette longue période de guerres.
Les potiers construirent six fours – à Ichiki, Kagoshima, Kaseda et Kushiniko. Mais pris dans le feu des changements et des luttes politiques de son pays, le seigneur n’a pas vraiment soutenu ses potiers et finalement n’a pas été satisfait des résultats. Il a choisi celui qu’il considérait comme le plus doué, Kim He, pour bâtir un four près de son château de Chosa et l’a envoyé pendant 5 ans à Seto, une vile plus au nord, pour parfaire sa maîtrise.
A son retour, Kim He pose les bases du style Satsuma dans ses créations. Les formes et la décoration atteindront une vraie originalité et qualité avec ses descendants, qui ont aussi été ceux qui ont trouvé enfin une excellente porcelaine blanche dans la province de Satsuma, au lieu de l’importer de Corée.
Une petite trentaine d’ans plus tard, ils ont été rejoints par un potier qui a rapporté de Kyoto la technique des émaux polychromes sous couverte, qui leur a permis de développer le style nishiki-e.
Ce style n’a pas eu beaucoup d’influence au Japon, mais … en 1867 a eu lieu l’Exposition Universelle à Paris. Les porcelaines de Satsuma et d’Arita ont eu un énorme succès. La mode du japonisme est lancée, les commandes à l’exportation affluent et Satsuma devient un des plus grands centres d’exportation de céramique au Japon.
Mais … car il y a encore un mais, la marchandise partait du port de Kobe, sur une autre île, Honshu, plus au nord. Là des potiers se sont implantés d’abord à Kobe, ensuite à Yokohama et bientôt est apparue une grande production de pièces imitant le style Satsuma pour l’export.
Aujourd’hui il y a au Japon au moins 200 ateliers de potiers en activité dans ce style … alors mon achat c’est du vrai ? Une imitation ancienne ? Je ne le saurai probablement pas.
Le magnifique service illumine mon séjour et me donne une grande joie chaque fois que je le regarde.

L’achat du pot pour mes fleurs est resté pour une autre fois …