La mafia et ses histoires ont toujours fascinés. Des histoires vraies avec un parfum cinématographique où le bien ne gagne jamais et où on se demande ce qui motivent certains de se pencher vers le côté si obscure de la balance.
Quand j’ai appris qu’à Paris a ouvert un concept store où on peut acheter des vins italiens produits sur les terres confisquées de la mafia et pannetone fait en prison, mon imagination n’a fait qu’un tour et n’a pas attendu longtemps. Ce n’était pas l’extraordinaire qui m’intéressait. L’univers de la mafia, à part des soirées à thème amusantes où l’extravagance de la Prohibition et d’un monde empreint de danger vu par nos yeux idéalistes, je ne voyais pas comment il peut inspirer un lieu moderne voir chic sans laisser passer de traces de confusion et de négativité.
Le concept store Ethicando m’amène à Rome par l’ambiance. Maîtresses de l’endroit, Caterina & Ludovica sont deux jeunes Italiens installés en France depuis des années. Caterina a travaillé en communication et a servi en tant qu’intermédiaire aux coopératives et associations d’insertion des détenus dans les salons professionnelles de mode à Paris. Elle me raconte, dans un français délicieux ponctué de son accent italien, comme elle s’est rendue compte que les produits de qualité de ces producteurs n’avaient pas de vrai représentant sur le marché. C’est ainsi que commença l’aventure Ethicando à Paris .
Situé à proximité du canal Saint Martin, un des quartiers chic de Paris (Viveka Bergström a sa boutique assez près, parmi d’autres), la boutique est meublée simplement et avec goût. Ici tout est un vrai concept – vins italiens, choix de pâtes, confitures, sauce tomate, le tout est organique, ainsi que des produits artisanaux, fabriqués en Italie par les coopératives d’insertion des terres confisquées de la mafia. Après le corner “food” il y des vêtements, des accessoires, des bijoux, des livres et la décoration d’intérieur – toutes les étagères sont également créés par des artisans. Les matériaux sont simples, transformés de manière audacieuse – les étagères métalliques sont patinés, les bijoux en or, bronze ou en argent ont des accents baroques. Des tables basses et chaises dépareillés offrent un air de café italien. On peut déguster le menu du jour, des pâtes, des gâteaux (un tiramisu sans faille est servi dans des verres de vin) et des boissons gazeuses. En entend chanter Rita Pavone. J’ai envie de m’asseoir et d’écrire. Selon la tradition, je vais commander un capucinno – il est excellent et vraiment italien!
Qu’est-ce qui amène deux italiennes à proposer à Paris un concept-store basé sur la lutte anti-mafia et anti-racket et déclarer le retour à la légalité comme valeur suprême?
Nous vivions déjà à Paris depuis des années donc c’est une raison personnelle d’ouvrir un concept store ici. Cela dit nous sommes convaincues que, puisque les mafias se globalisent, l’antimafia se globalise aussi. Dans ce contexte il est essentiel de sensibiliser le public et la presse étrangère à la “diffusion” du crime et à la criminalisation de l’économie.
Comment vous organisez-vous – que fait exactement Caterina et de quoi s’occupe Ludovica?
On aime dire que Ludovica est l’âme plus italienne du projet (elle est plus souvent en Italie et elle garde le contact avec un grand nombre des coopératives et avec la presse italienne), je suis l’âme française (relation presse en France et le contact avec le public).
Quels ont été les critères de sélection des marques et les coopératives qui vous représentez chez Ethicando?
Ethicando est un concept store du made-in-social italien de haute qualité. C’est prioritaire pour nous d’associer les produits éthiques à l’esthétique et au goût. Nous voulons renverser le paradigme qui clame que les produits éthiques sont tristounets. Ce n’est pas toujours vrai et nous avons sélectionné les coopératives sociales qui en plus d’avoir un fort impact social, ont un produit de qualité qui tient la route et qui peut se confronter avec les produits similaires déjà existants sur le marché. Nous avons beaucoup de produits qui ont gagnés des prix (le meilleur panettone d’Italie est fait dans la prison de Padou), nous avons des vins qui sont dans le Gambero rosso (equivalent du Guide Michelin italien).
Quels sont les indications des origines de vos produits?
Nous n’avons que des produits italiens faits par des coopératives sociales (réinsertion de détenus, de malades psychiatriques et les associations antimafia).
Qui sont vos clients? Comment vous alliez style pointu avec message social?
Nos clients sont 50% de la communauté italienne, heureuse de voir une autre Italie représentée à Paris – l’Italie de l’excellence du goût mais aussi de l’innovation sociale. 50% sont les parisiens, beaucoup de gens du quartier qui reviennent souvent, mais pas seulement.
Nous voulions créer un lieu avec style pour bien souligner que le made-in-social peut être d’avant garde en matière sociale tout en ayant du style et tenant compte des tendances de la mode.
Avez-vous pensé de vendre les produits de votre concept store sur internet?
L’e-commerce est un autre métier qu’on ne connait pas. Nous préférons nous concentrer sur le concept store où on rencontre les gens et où c’est beaucoup plus facile de faire passer le message que nous voulons, celui qu’on a écrit sur notre mur : qui ne peut pas voir un autre monde est aveugle!
Est-ce que votre activité ne vous a pas attire des réactions de la part de ceux contre lesquels vous vous affirmez?
Nous ne sommes pas en première ligne dans la lutte antimafia. Notre rôle est de sensibilisateur et de vitrine pour les coopératives et leurs produits. Nous sommes protégées. Ce sont les coopératives qui sont en première ligne et elles se font régulièrement attaquer (par exemple beaucoup de terres ont été brulées cet été).
Des parcours “anti-mafia” sont organisés en Sicile avec l’association adiopizzo (Adieu le racket en italien). Vous proposez bientôt leurs services aux français?
Nous admirons beaucoup le travail d’addiopizzo. Le pizzo (les “taxes” payées par les commerçants) fourni aux mafias une rente et surtout un vrai contrôle du territoire, s’opposer à cela permet de contrer ce contrôle. Addiopizzo est un network de commerçants de tout genre qui s’opposent au pizzo. Ils ont créé un guide pour la consommation critique pour permettre aux gens de consommer tout en étant sûrs de ne pas financer la mafia indirectement sans le savoir.
Addiopizzo travel suit le même principe : offrir au touristes la possibilité de visiter Palerme et la Sicile en étant certain de ne pas financer les mafias.
Vous accueillez et initiez des évènements très différents chez vous: soirée tango et apéro dansant, présentation de livres (“Petit dictionnaire énervé de la mafia” parmi autres). Quels sont les évènements prochains que vous proposez?
Ce soir nous accueillons la projection du documentaire Le courage de l’Europe qui a été financé par l’Union Européenne. Ce film parle du rôle des cheminots dans la résistance anti-nazisme en France et Italie.
Le 24 nous aurons le vernissage de l’exposition d’un photographe qui a fait un reportage sur l’île de Linosa (sud de Sicile). Il nous parlera de la rencontre entre clandestins arrivés d’Afrique et les habitants de l’île. Le trafic d’hommes est une source importante de gain pour les mafias italiennes, c’est un thème très douloureux qui nous tient à cœur. Le 26 nous allons présenter addiopizzotravel.
Vous présentez des pièces de théâtre et organisez des tables rondes. Vous soutenez également Carovana Antimafia, quels sont vos projets dans cette direction?
Nous sommes en train d’organiser un week-end sur l’engagement féminin dans l’antimafia. C’est un événement qui s’étale sur deux soirs.Le premier aura lieu chez Ethicando où on aura comme invitées Rita Borsellino (sœur du magistrat tué et eurodeputée de la première commission antimafia européenne) et Franca Imbergamo (magistrat antimafia à Palerme).
Le deuxième aura lieu dans un théâtre et nous sommes encore en train de l’organiser – des intervenantes françaises nous parleront de la lutte anti-crime en France et la pièce “Un errore umano”, déjà présentée en mai chez Ethicando, sera jouée.
Ettore Scola, président honorifique de Cinemovel, a présenté en juin dernier dans le cadre de Libero Cinema in Libere terre à Paris son film Placido Rizzotto. Comment à été reçu cette manifestation ?
Libero cinema in libere terre est un festival de cinéma ambulant sur les terres confisquées aux mafias, qui existe déjà depuis sept ans. En collaboration avec Focus in et la Mairie du 13ème arrondissement nous avons rendu possible pour la première fois une manifestation à l’étranger de ce festival. La philosophie est toujours la même : la mafia se globalise, l’antimafia aussi ! Le public français est fasciné par Cinemovel et Ettore Scola dans sa veste de réalisateur engagé a été applaudi. Aux projections il y a eu beaucoup de monde, ça été un grand succès pour nous qu’on espère revivre l’année prochaine.
Qui sont les “fabricants” de vos T shirts ? Qui a crée le logo et qui a choisi les textes imprimés dessus?
Pour les t-shirt nous travaillons avec deux coopératives : la première s’appelle Made in jail, ce sont les détenus de la prison de Rome qui dessinent et impriment les dessins avec des slogans du genre “free spirit”.
La deuxième coopérative s’appelle L 180qui est la loi qui a interdit les asiles psychiatriques en Italie. C’est donc une coopérative de réinsertion de personnes avec des fragilités psychiatriques et leur slogan est “de près personne n’est normal”!
Comment le choix des bijoux s’est imposé à coté des Tee-shirt Made in jail, de la nourriture produite dans les terres libérées des mafias et des aliments bio?
Nous avons connu les filles qui travaillent à la coopérative UROBURO à Milan et nous avons été séduites par leur idée : “transformer la folie en folie créative”! Les malades psychiatriques en réinsertion fabriquent des bijoux dessinés par des designers et certains d’entre eux ont carrément leur propre collection crée par leur soins.
Ils font des très belles anneaux et alliances de mariage pour ceux qui veulent donner plus de sens à cet objet qui en a déjà beaucoup! Je porte d’ailleurs avec plaisir mon alliance – faite par eux, bien sûr.
Dialog Textil, 2012